Comment devient-on moine et ensuite comédien ?
Je vais vous faire un aveu: je ne sais pas ce que c’est un moine… D’abord, on ne devient pas moine comme on devient boulanger ou médecin ! Puisque c’est se cacher pour vivre de l’attraction d’une personne complètement cachée -Jésus- et se laisser toujours plus prendre par lui. ça prends donc des formes extrêmement diverses.
Et le comédien, c’est tout sauf jouer un rôle ! C’est être porteur d’une parole qui nous dépasse, que moi je redécouvre de plus en plus en la disant, et la ‘vivre’ en étant le plus vrai, le plus simple possible; cela suppose donc de l’avoir mangé et d’avoir été porté par elle longtemps. C’est pour moi être allaité par une parole vivante, qui vient nous façonner de l’intérieur, qui imprime sa vie propre et qui rejoint nécessairement notre vie la plus intime…
Etre moine suppose un lourd accès au silence, avec la nécessité de la prière et du retrait, un peu l’inverse justement du comédien qui lui doit faire face à un public en s’exposant ?
Oui, mais le silence n’est pas nécessairement matériel : c’est d’abord une question d’amour : il faut beaucoup aimer pour être silencieux et se laisser rencontrer par le Tout-Autre; comme pour le comédien : il ne quitte pas son intériorité ni son silence intérieur en donnant son texte; c’est pour cela qu’on peut très bien en fait « jouer un rôle » dans son monastère ou sur scène si on est pas pris par un amour fervent, un
amour d’enfant, actuel, qui nous creuse, qui nous blesse et qui fait que même sur scène on n’est pas quitté par celui qui mystérieusement nous attire de partout.
Dans quelles circonstances avez-vous rencontré l’œuvre de Christian Bobin. Et pourquoi justement cet auteur ?
Après des années d’enseignement de la philo à l’étranger, je cherchais des paroles adaptées aux français qui ont un esprit extrêmement critique et corrosif : on a des opinions sur tout ! Et même chez les cathos et le clergé ! Et ça, ça tue la rencontre avec l’autre, ça fait de nous en apparences des petits morts incapables de s’étonner…
En achetant par hasard « l’homme-joie » de Christian B, j’ai été porté et j’ai comme senti une guérison intérieure qui se faisait par rapport à cet esprit intempestif de jugement; Et je vois de plus en plus combien Christian a porté et touché ce qu’il y a de plus humain en nous : l’émerveillement, la lenteur, l’esprit d’enfance, se laisser déborder par le réel, en côtoyant et en ne fuyant pas le banal de nos journées et les expériences les plus rudes: la mort d’un ami, la maladie d’un parent. Christian est un lutteur qui nous lègue un trésor inestimable qui devrait beaucoup contribuer à la guérison de notre pays….
Les mots de l’écrivain sont-ils toujours compatibles avec la Parole de Dieu ou bien encore avec les Evangiles. Est-ce toujours une affaire de foi, ou d’interprétation ?
La Parole de Dieu étant aussi large que Dieu, étant une parole de feu et en aucun cas une morale ou du prêchi-prêcha, les mots de Christian sont pour moi une disposition incroyable à cette rencontre avec nous-même, avec le quotidien, avec l’ami, avec la mort dans lesquels Celui qu’on appelle Dieu -mais qui a des milliers de noms- se cache… Dieu c’est d’abord une question d’attention à ce qui est, c’est une question de
quitter les wagons de nos projets pour se laisser rencontrer par Celui qui est l’ordinaire et le rien, le silence et la solitude, le rire atomique d’un vieillard et le regard fixe d’un nouveau né qui nous dévisage sans pudeur un peu étonné de nous voir là….
Vous m’avez dit un jour que Christian Bobin, était un mystique. Mais qu’est-ce qu’un mystique au fond ? Quelqu’un d’éprouvé ?
Définir un mystique, c’est un peu comme vouloir mettre la main sur le chant d’un oiseau, le rire d’un bébé… c’est quelqu’un qui fréquente tellement Dieu dans la splendeur des jours sans histoires qu’il a finit par lui ressembler : il est devenu aussi frais qu’un nouveau-né, un amoureux, un hyper-vulnérable, un trop sensible, un écoutant, un doux, un naïf, un lent, un patient, un clown, bref tout sauf quelqu’un de sérieux ou qui vivrait avec un rétroviseur permanent sur lui-même ! C’est quelqu’un qui se laisse déborder par le réel, envahir par lui jusqu’à si noyer d’extase !
Plus spécifiquement qu’est-ce que signifie pour vous croire en Dieu aujourd’hui ?
Croire en Dieu s’est mendier tout les jours à Celui qui est là, caché, de venir me dire qu’il est là, de venir me dire qui je suis pour lui, de venir me prendre dans tout ce que je vis, c’est de lui remettre très simplement tout mes échecs, tout mes murs, c’est me laisser rencontrer et rechercher par Lui sans que je ne puisse jamais mettre là main sur lui ou sa lumière ! c’est, comment dire, une espèce d’abandon confiant qui passe par le fait de prendre la main de celui qui est sur le même chemin que moi, celle de Christian par exemple.