Comment expliquer la popularité de la grand-mère de Jésus en Bretagne et l’attachement des Bretons à son égard ? D’où viendrait ce culte ? En effet, il n’est nulle part fait mention de la grand-mère de Jésus dans les évangiles. Seul le protévangile de Jacques, le plus ancien des apocryphes, en parle. Sainte Anne n’est pas sainte en Bretagne parce qu’une autorité l’aurait reconnue comme telle, mais par un culte populaire très ancien, bien antérieur aux apparitions à Yvon Nicolazic.
Le culte offert à sainte Anne est enraciné dans la terre bretonne depuis très longtemps, et il suffit de se référer au culte d’Anne d’Auray pour s’en rendre compte : sainte Anne demande à Nicolazic de reconstruire la chapelle qui lui avait été dédiée sur les lieux, 924 ans et six mois plus tôt (soit donc dans les années 700). De même, le culte de sainte Anne au sanctuaire de Sainte-Anne-la-Palud est très ancien puisque, selon la légende, il aurait été établi au tout début du VIe siècle par saint Guénolé et saint Corentin, sur un terrain offert par le roi Gradlon suite à la submersion de la ville d’Ys. Selon l’historien Arthur de la Borderie, le premier pèlerinage de Sainte- Anne-la-Palud aurait eu lieu vers l’an 500, auprès d’une première chapelle construite par saint Guénolé, connue sous le nom de « Santez Anna gollet » (Sainte- Anne-la-disparue). Certains historiens pensent qu’elle est située au sud-est des dunes actuelles sur un terrain aujourd’hui ensablé, que la mer recouvre aux hautes marées.
Wikipédia rapporte à tort que ce culte à la grand-mère de Jésus en Armorique ne remonte pas au-delà du XIIe siècle, se référant au fait que sainte Anne ne figure au calendrier qu’à partir de 1382, puis dans la bulle de Grégoire XIII (1584) instaurant la fête de sainte Anne au 26 juillet. Or un document attesté du VIe siècle, rédigé en latin franc à Saujon près de Saintes, mentionne qu’il existait un culte ancien à sainte Anne répandu en Gaule à cette époque et antérieurement. Ce texte intitulé De Virtutes Apostolorum (De la vertu des apôtres) ou encore Pseudo Abdias, servira notamment de base à la Légende Dorée de Jacques de Voragine ou encore à Grégoire de Tours qui a lui aussi accès à ce document (il en parle dans ses vies de saints). La Bretagne a alors conservé ce que d’autres lieux ont perdu.
Un culte attesté au Proche-Orient au IIe siècle
Ce culte à Sainte Anne, déjà attesté au Proche-Orient au IIe siècle et à Byzance au Ve siècle, serait apparu en Bretagne vers le IIIe siècle. Il serait, pour certains, le résultat d’un syncrétisme alliant le culte pour la déesse Dana, déesse-mère au-dessus de tous les dieux, et une christianisation gauloise ayant eut lieu avant l’arrivée des Brittons
Mais dans les faits, on n’en sait rien puisqu’on ne connaît presque rien au sujet de cette déesse. Avec la pensée missionnaire de l’époque, un certain syncrétisme se métamorphosera peu à peu en culte à la grand-mère de Jésus, culte qui imprégnera pour longtemps la terre armoricaine, comme le pense par exemple le père Job an Irien. Il faut savoir aussi que les orientaux avaient trois fêtes liturgiques dans l’année dédiées à sainte Anne : Anne et Joachim le 9 septembre, la conception de sainte Anne le 9 décembre, et la dormition de sainte Anne le 25 juillet. Or les premiers chrétiens celtes étaient proches du christianisme oriental. Il n’est pas improbable que ces liens aient pu appuyer la popularité d’Anne en Bretagne.
De plus, les Celtes, au sein d’une société assez matriarcale, avaient laissé dans le druidisme antique une grande place aux femmes. Les chrétiens celtes firent de même : avoir le haut-patronage d’une femme était en Armorique dans l’ordre des choses.
La Bretagne, un terreau propice à l’accueil de sainte Anne
Il y avait là, dans cette terre bretonne où se développaient les semences du Verbe (cf Justin de Rome), un terreau propice à l’accueil de la grand-mère de Jésus et à son adoption totale jusqu’à en faire, dans certaines légendes, une bretonne d’origine. Qu’elle ait choisi d’apparaître à Yvon Nicolazic un an après la bulle de Grégoire XIII ordonnant la célébration de la fête de sainte Anne le 26 juillet, est donc dans l’ordre des choses.
Par la suite, le culte se développera à travers l’ensemble de la Bretagne et la popularité de la grand-mère de Jésus en Bretagne ira grandissante. Le 26 juillet 1914, répondant à l’invitation des cinq évêques de la Bretagne historique, le pape Pie X déclarait officiellement sainte Anne « Patrona Provinciae Britanniae » (patronne de la province de Bretagne). Le 26 juillet 1954, le pape Pie XII terminera son message radiophonique aux pèlerins de sainte Anne en disant :
« Re vo melet Santez Anna, Patronez vad er Vretoned ! » Le même jour, les évêques bretons consacreront la Bretagne au Coeur Immaculé de Marie.
« Santez Anna, mamm gozh hor Salvér Jézuz Krist, Mamm ar Werhiez ha Mamm hor Bro, benniget ho Pretoned ha groeit ma vevo Breizh da viruiken ».
« Sainte-Anne, aïeule de notre Sauveur Jésus-Christ, Mère de Notre-Dame et Mère de notre Patrie, bénissez vos Bretons et faites que la Bretagne vive à jamais. »
Eflamm Caouissin
dans Chrétiens en Morbihan – décembre 2022 – n°1524