Journées paysannes de Bretagne : l’Espérance est dans le pré

Le 16 septembre dernier, les soeurs de l’abbaye la Joie Notre-Dame de Campénéac accueillaient les membres de l’association « les journées paysannes », pour une journée régionale de récollection sur le thème « l’Espérance est dans le pré », en présence de Monseigneur Centène.

Que sont les journées paysannes ? En savoir plus ici

La journée a réuni près de 80 personnes du monde agricole, dont de nombreux jeunes, de Bretagne ou d’ailleurs, ainsi que des religieux et religieuses, travaillant dans la production laitière, vinicole, la culture, ou l’élevage.  Certains sont venus pour « se retrouver entre paysans qui partagent les mêmes valeurs « , d’autres « pour partager nos difficultés et connaître celles des autres« , ou d’autres encore pour « avoir des pistes de réflexion« .

Yves Daniel, avocat en droit rural et familial, est venu parler de l’espoir et de l’espérance, citant Péguy, Bernanos, et Giraudoux (retrouver son intervention sur le site de Ar Gedour). Le fondateur des journées paysannes nationales, Jean-Louis Laureau, est revenu sur la création de l’association (voir ci-dessous), le 2ème vice-président et délégué régional Jean-Yves Talhouarn a dressé un bilan et donné quelques pistes d’Espérance. Enfin, Monseigneur Centène a repris les mots de Bernanos pour aller des difficultés du monde paysan à l’Espérance.

Le fondateur des JP, Jean-Louis Laureau explique

Lien à la terre. « Les JP sont nées il y a presque 30 ans, parce que nous avions senti, que le lien à la terre est essentiel pour l’homme, il est un lien très fort avec le Créateur […]. » Pour le fondateur, les JP ont été créées « dans un esprit prophétique, pour annoncer à tous que le lien à la terre, c’est le moyen de rejoindre Dieu […] , rejoindre la Vie éternelle, à travers nos tâches paysannes. Les JP ont aussi été créées pour nourrir l’espérance paysanne, car ce lien est source de renouveau humain et plus encore, spirituel.. »

Le message circule, en témoigne la participation massive des paysans aux journées JP, passée en trois ans de 20 à 700 personnes, avec 1/3 des participants ayant moins de 30 ans !

Un ordre sur Terre. Jean-Louis Laureau continue : « Le Créateur a mis un ordre sur Terre avec un grand amour, à nous agriculteurs de découvrir cet ordre, et de l’accepter comme quelque chose qui vient de Dieu, au service de l’homme. » « Par la fertilité du sol, nous annonçons l’amour du Créateur. » Et de citer Fabrice Hadjaj, intervenu aux JP de février 2017 : « lagriculture est l’art premier du 21ème siècle. »

Jean-Yves Talhouarn, délégué régional : tout est parti de « l’Angélus » de Millet

(voir notre article d’annonce des JP),

« J’ai monté les JP de Bretagne en 1996, après avoir eu connaissance de leur existence par une soeur de Kergonan. Puis je suis tombé par hasard à la radio sur un commentaire d’une peinture du Musée d’Orsay, « l’Angélus » de Millet : l’Esprit-Saint me soufflait le thème de notre future première journée de rencontre en Bretagne ! »

Constat. Détresse spirituelle, perte de repères, manque d’amour, de reconnaissance, l’agriculteur est isolé et livré à lui-même. Jean-Yves Talhouarn dresse le constat : ce sont près de 260 suicides par an qu’il faut déplorer dans le monde agricole.

Submergé de travail avec une astreinte quotidienne, d’obligations administratives et financières où il doit rendre des comptes, dans un système de production effrénée, de guerre des prix, et sans défense des organismes sensés le faire,  l’agriculteur ne peut pas fixer lui-même le prix de sa production et « s’est fait racketter le lien au consommateur » : « c’est un consternant manque de reconnaissance et d’estime du travail de l’agriculteur« , explique Jean-Yves Talhouarn. « Même ses propres frères de l’autre côté du talus guettent combien de temps il va durer« …

Surproduction. La liste est longue des faits à déplorer, techniques, économiques, sociaux, pour ne pas dire psychologiques et spirituels, et les échanges vont bon train dans la salle, dans un climat d’écoute. « Les jeunes pensent que pour réussir, il faut investir et s’agrandir, alors ils achètent des gros tracteurs, des robots, louent plus de terres, mais ils se surendettent et vont vers la catastrophe. » Mais dans les écoles c’est ce qu’on leur apprend, » surenchérit cet agriculteur dans la salle. « On les formate à la surproduction. Il faudrait commencer par faire des conférences dans les écoles. »

Une production raisonnée. La production doit s’adapter à la capacité de la ferme selon Jean-Yves Talhouarn, « la ration doit être fixée au sol » dit-on en langage spécialisé. Une démarche écologique dans la droite ligne de l’encyclique « Laudato Si » du pape…

Mgr Centène, J.Y. Talhouarn, J.L. Laureau, Y. Daniel

Semeurs de vie. « Nous sommes des semeurs de vie », complète cette autre personne, « nous devons avoir conscience que la semence en terre ne peut être semence de mort, c’est-à-dire enveloppée de pesticides ». Technicien conseil en chambre d’agriculture, il a permis aux gens qu’il conseillait de passer à l’agriculture biologique « la pétrochimie est une voie sans issue. Le Seigneur a donné abondance et gratuité, si les agriculteurs redécouvrent et s’ils respectent les lois du Créateur, alors ils seront des agriculteurs heureux qui transmettront une culture de vie à leur descendance. »

Travailler en collectif. Pour le délégué régional, la seule alternative à la détresse paysanne est de travailler en collectif, de reconstruire des petites communautés d’agriculteurs, comme le préconise Rod Dreher dans son livre « Comment être chrétien dans un monde qui ne l’est plus, ou le pari bénédictin« ; il faut créer des regroupements d’agriculteurs, et fonctionner sur des circuits courts de la production à la consommation, reconstruire un système fourrager de chez soi et non plus de l’extérieur, etc…

Lire l’intervention dans son intégralité

Monseigneur Centène, l’Espérance est dans le pré

Perte de sens. Partant du constat des difficultés de la vie paysanne, qui se diffusent dans toutes les sphères de la vie  Monseigneur Centène en explique ainsi le profond malaise. « Si le métier perd son sens, alors la vie perd son sens » dit-il. Et cela est encore aggravé par le fait que les patrimoines professionnel et familial sont bien souvent imbriqués. L’engrenage de l’endettement mène à l’asphyxie, l’univers se rétrécit.

« L’Espérance chrétienne est confrontée à une violence en gants blancs d’un libéralisme économique sans fin, qui en conscience n’a pas de vue sur l’humanité. »

Vérité. « Mais le pré est une vérité toute simple ». Reprenant les mots de Bernanos « l’Espérance est une détermination de l’âme et sa plus haute forme est le désespoir surmonté »« L’Espérance est la plus difficile des victoires que l’homme peut remporter sur son âme. »

« L’Espérance est dans le pré parce que le brin d’herbe, symbole même de la fragilité, est capable de faire preuve d’une force et d’une vitalité surprenantes…[…] l’herbe repousse toujours. L'<espérance est dans le pré parce que le brin d’herbe n’est pas seul […] il est multitude. Il nous faut réinventer la solidarité […] refonder une culture de l’attention à l’autre qu’il faut réapprendre à considérer non comme un prédateur comme un ami. […] L’Espérance est la condition de la culture de vie qui s’oppose à la culture de mort, la condition de la vérité qui s’oppose au mensonge. »

Ecouter l’intervention de Monseigneur Centène :

 

Enfin, pour certains la solution est dans la persévérance à tout prix, telle Anne-Marie (voir ci-dessous) ; pour d’autre, c’est de « mettre notre travail dans les mains du Seigneur, cela permet de résister au rouleau compresseur » dira cette femme dans l’assemblée.

En partant, beaucoup se sont quittés avec un peu plus de joie et de fraternité au fond du cœur… et avec peut-être un peu plus d’Espérance ?

Anne-Marie, exploitante agricole en production porcine dans le secteur de Ploërmel, témoigne

Pour elle, l’Espérance prend le nom de persévérance : « s’il y a un mot à retenir pour moi c’est celui-là. Il ne faut jamais abandonner, quelles que soient les difficultés. Mais il faut aussi savoir demander de l’aide à l’extérieur, ou parler, sinon c’est trop lourd« .  Ce qu’elle vient chercher aux JP ? de la fraternité, du lien. Sa philosophie : « trouver les petits bonheurs de la vie« . Son conseil : « prendre le temps de la réflexion, savoir attendre, ne pas se précipiter » dans les décisions liées à l’exploitation.

« On a travaillé dur avec mon mari, on a connu des difficultés. Aujourd’hui je ne regrette rien. Si je devais recommencer ma vie, je ferai pareil. »

 

Une vente de vin au profit de l’association pendant les JP, et des dons, permettent de constituer un fond d’aide aux agriculteurs en difficulté, notamment pour leur remplacement, afin qu’ils puissent prendre quelques jours de congés.

Contact et renseignements : Jean-Yves Talhouarn –  nutri.orga@orange.fr