Dans l’épais brouillard de la colère des « gilets jaunes », la crise socio-politique presse les chrétiens d’intensifier un double faisceau : les« phares » de la doctrine sociale de l’Eglise et les « veilleuses » d’une prière humble et persévérante… Dans le sillage de la fête de l’Immaculée Conception, les Evêques ont confié la France à Marie, sa sainte patronne.
Dans un communiqué du 6 décembre (Lire sur eglise.catholique.fr), Monseigneur Georges Pontier, président de la conférence des évêques de France pointe « un déficit d’écoute et de dialogue ». Relevant « une méfiance croissante dans toute institution et la perte de confiance dans les corps intermédiaires », il appelle « chacun à assumer ses responsabilités », en vue d’un « dialogue courageux et constructif » susceptible de « contribuer à la recherche du bien commun ».
Un problème « d’humanité et de reconnaissance avant tout »
« Chacun y va de sa demande individuelle… sans forcément réfléchir aux répercussions. Cela va peut-être s’organiser davantage avec les cahiers de doléances », commente Marie-Thérèse, retraitée et membre de l’ACO (Action Catholique Ouvrière). Elle reconnait que les enjeux sont complexes et les revendications tous azimuts, parfois divergentes ; d’où l’urgence de construire un dialogue serein, entre personnes de bonne volonté.
Dirigeant d’une entreprise d’expédition express, impliqué dans un cabinet conseil en stratégie, Marc est responsable d’une des deux équipes EDC (Entrepreneurs et Dirigeants Chrétiens) de Vannes, placée sous le patronage des époux Martin. « Comme 80 % des français, je comprends le désarroi, moins le débordement, déclare Marc. Les « gilets jaunes » ont certes des difficultés d’ordre économique, de pouvoir d’achat, etc., mais le problème est d’abord et avant tout, un problème d’humanité et de reconnaissance ».
« Le premier capital à sauvegarder et à valoriser est l’homme,
la personne dans son intégrité », Caritas in Veritate, n° 25.
L’entreprise, un « bon laboratoire de la société »
Le thème travaillé par son équipe cette année rejoint parfaitement l’actualité : la dignité de l’homme au cœur de l’entreprise. « A notre humble niveau de chefs d’entreprise, nous devons avoir le souci des personnes, pour construire une entreprise respectueuse de la dignité de l’homme. Est-ce que je donne la parole à mes collaborateurs sur la façon dont ils vivent leur travail ? Comment est-ce que j’accueille la fragilité ? Il faut travailler sur toutes les dimensions, être capable de discerner les efforts faits par les uns et les autres – du manutentionnaire au directeur – et reconnaître la valeur que chacun apporte à l’entreprise ».
Salariés, entrepreneurs, professions libérales, artisans ou commerçants, … Le dénominateur commun est l’« écart ressenti entre nous et ceux qui nous gouverne », et par conséquent la difficulté à entrer en dialogue. « Les gens ne se sentent ni considérés, ni écoutés. Dans un pays où le chômage dépasse les 10% dans certaines régions, ce sentiment de non reconnaissance est amplifié ».
Ainsi, le mouvement des « gilets jaunes » révèle des enjeux tels que le renouvellement en profondeur des corps intermédiaires et une application saine du principe de subsidiarité, comme clefs de voûte de l’organisation sociale. « Des syndicats non représentatifs, des partis politiques largement critiqués : si on en arrive là aujourd’hui, c’est probablement parce que ça n’a pas fonctionné. De la même façon que, dans l’entreprise, le management intermédiaire a un rôle essentiel à jouer, il faut trouver à l’échelle de la société des relais et reformer des corps intermédiaires, retrouver de la subsidiarité, … Avec l’éclairage du contexte actuel, ces valeurs apparaissent comme des valeurs clefs ! ».
L’aspiration à une vie digne
Même constat chez Marie-Thérèse (Pontivy). « La déconnexion entre les pouvoirs et la base ne date pas d’aujourd’hui ! observe-t-elle. « Les syndicats ne mobilisent plus aujourd’hui, tout comme les partis politiques. Le manque de dialogue fait qu’on arrive à ces moments de violences ».Bien qu’elle regrette que les revendications individuelles et catégorielles puissent occulter la recherche du bien commun, Marie-Thérèse reconnait que « le fait de se retrouver et d’échanger sur leurs difficultés a du sens pour les ‘gilets jaunes’».
« N’étant pas engagés dans un mouvement, une structure collective, etc. ils n’ont pas d’espace pour se retrouver et partager. Ils ont peur ou tout simplement honte d’en parler, poursuit-elle.« Le fond du problème, c’est le besoin d’être reconnu et entendu dans son aspiration à une vie digne : comment vivre dignement ? ».
Marc conclut quant à lui qu’« il ne faut pas attendre de l’Etat et des pouvoirs publics les réponses à tout. C’est à nous tous de faire ! ».
Promouvoir « tout homme » et « tout l’homme »
A l’heure où l’équation peut sembler impossible, dans une économie hyper-globalisée, où le consumérisme exacerbe l’individualisme et réciproquement, l’enseignement social de l’Eglise offre des « orientations sûres à la solution des problèmes concrets » (Mater et Magistra, 1961) : bien commun, respect de la création, juste rémunération du travail pour garantir une vie digne aux familles, destination universelle des biens, des corps intermédiaires capables de promouvoir la justice sociale…Tout chrétien peut approfondir ces balises afin d’en vivre et de contribuer à édifier une société juste et fraternelle. A travers ces repères, l’Eglise offre au monde « ce qu’elle possède en propre : une vision globale de l’homme et de l’humanité ». (Populorum progressio).
Ecologie humaine, « famille » humaine : pas sans Dieu !
Quelle éthique économique ? Dans son encyclique sociale « Caritas in Veritate », Benoît XVI approfondit une vision fondamentale du développement intégral, dans la continuité de l’enseignement de ses prédécesseurs, en particulier de saint Paul VI dans « Populorum progressio » (1967). « Sans la perspective d’une vie éternelle, le progrès humain demeure en ce monde privé de souffle. Enfermé à l’intérieur de l’histoire, il risque de se réduire à la seule croissance de l’avoir » expose-t-il au n°11.
Au-delà de ce que l’on peut attendre des institutions, le magistère met ainsi l’accent sur une vision transcendante de la personne et sur la responsabilité de chacun. « En réalité, les institutions ne suffisent pas à elles seules, car le développement intégral de l’homme est d’abord une vocation et suppose donc que tous prennent leurs responsabilités de manière libre et solidaire. Un tel développement demande, en outre, une vision transcendante de la personne ; il a besoin de Dieu ».
« Il n’y a donc d’humanisme vrai qu’ouvert à l’Absolu, dans la reconnaissance d’une vocation, qui donne l’idée vraie de la vie humaine .
Populorum progressio.
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