Pierre Le Gouvello de Keriolet, né à Auray où il a été baptisé le 13 juillet 1602, mort le 8 octobre 1660 Sainte-Anne-d’Auray où il est enterré, est un curieux exemple, tellement extrême qu’il en est décourageant… sauf si l’on sait ce qu’il avait été auparavant : un des pires contre-exemples de vie chrétienne ! C’est ce changement complet de vie qui va nous intéresser ; c’est la manière dont le Seigneur s’y est pris pour le sauver que nous allons découvrir dimanche après dimanche : quel chemin a-t-il pu emprunter sous la conduite de Dieu ?
Toutes les informations qui suivent sont tirées du témoignage authentique de quelqu’un qui a bien connu Keriolet : il s’agit de son directeur spirituel, le père Dominique de Sainte Catherine, religieux Carme de Sainte-Anne d’Auray qui, dès 1663, a fait le récit de sa vie.
Mercredi des Cendres
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2e dimanche de Carême
3e dimanche de Carême
4e dimanche de Carême
5e dimanche de Carême
Dimanche des Rameaux
Vigile et dimanche de Pâques
Voici un chrétien — et un prêtre — qui, en ce mercredi des Cendres, pourrait nous servir de modèle : chaque jour des heures à genoux en prière silencieuse, en plus de la messe et des offices du bréviaire ; d’une austérité de vie impressionnante, ne se nourrissant la plupart du temps que de pain et d’eau, vêtu d’étoffes grossières, des chaussures pleines de clous aux pieds ; distribuant sa fortune en aumônes et ayant transformé son château en maison des pauvres dont il n’est plus que le gestionnaire et l’aumônier…
Pierre Le Gouvello de Keriolet semblait être l’esclave du démon. D’un tempérament rebelle, il est envoyé au collège des Jésuites de Rennes où il n’en fait qu’à sa tête : mauvaises fréquentations, débauche, vols, maniement des armes dont il devient expert. Après avoir volé jusqu’à son père, il veut s’enfuir auprès du Grand Turc et se faire musulman. Un échec !
Mais comme il sort indemne de toutes ses mésaventures, même après un meurtre, il se sent invulnérable. Son coeur s’endurcit, son orgueil se renforce. Par vanité, il achète en 1628, après avoir hérité de son père, une charge de conseiller au Parlement de Bretagne. Il se prend pour son propre dieu. Par pur mépris de la religion, il simule la pratique chrétienne et même, après un orage qui l’avait importuné, il tire des coups de feu vers le ciel pour tuer Dieu s’il était possible.
Comment un tel homme pourrait-il se convertir ?
Dans le coeur de Pierre Le Gouvello de Keriolet, pécheur invétéré, brillait étonnamment une petite lueur, annonce de la clarté future de sa vie transformée. Ce conseiller au Parlement de Bretagne, querelleur et violent, n’a pourtant jamais commis d’injustice dans ses fonctions. Bien qu’il ait souvent incité des pauvres au blasphème, il s’est toujours montré généreux envers eux. Même incroyant, il a continué, peut-être par piété envers sa mère, à réciter quotidiennement un Ave Maria.
Un jour qu’en Allemagne des brigands menaçaient sa vie, il fit le voeu de se rendre en pèlerinage à Notre-Dame de Liesse (Aisne) s’il était sauvé : prière exaucée mais voeu accompli… après sa conversion !
Enfin, une vision terrifiante de l’enfer l’effraya si bien qu’il crut s’être converti et entra à la Chartreuse d’Auray. Vite sorti du noviciat, il devint athée et se révéla pire qu’avant. Mais jamais il n’oublia sa vision…
En janvier 1636, Pierre Le Gouvello de Keriolet, prêt à changer de religion, gagne Loudun pour y séduire une jeune protestante. Mais du bruit va l’attirer dans une église plusieurs jours de suite. On y exorcise en public des religieuses, victimes de la vengeance démoniaque d’un prêtre : celui-ci, brillant mais scandaleux, s’était vu refuser par la supérieure le poste d’aumônier et, dès 1632, les cas de possession
diabolique s’étaient multipliés parmi les soeurs.
Ce 6 janvier 1636, le démon, contraint par l’exorcisme, interpelle Pierre par la bouche d’une possédée et lui révèle son passé. Il en est saisi ! Non, ce n’est pas sa valeur dans le maniement des armes qui l’a maintenu en vie mais la Vierge et son ange gardien ; non, ce n’est pas son mépris de Dieu qui l’a fait sortir de la Chartreuse mais sa misérable impureté… Il est humilié jusqu’à l’intime : ce jour-là, le sanctuaire de son coeur est purifié.
Le 6 janvier 1636, dans l’église Sainte- Croix de Loudun, Pierre Le Gouvello de Keriolet, bouleversé par la vérité, reconnaît son péché et confesse publiquement ses fautes soudainement mises en lumière. Il décide de tourner le dos à sa vie d’avant et de se confier au Christ.
Le lendemain, il se confesse au prêtre exorciste et reçoit le pardon de Dieu. Le démon doit avouer que, dans le cas de Keriolet, cet abominable pécheur resté fidèle à sa prière quotidienne à Marie, c’est elle, la Vierge, qui l’a vaincu.
Dès ce 7 janvier 1636, il entame le pèlerinage marial promis, mais jamais réalisé, à Notre-Dame-de-Liesse : voyage à pied long et périlleux où, comme l’avait prédit le démon, il sera maltraité.
Dans la joie de sa conversion, il fait, pour rentrer en Bretagne, un énorme détour par le sud de la France jusqu’à la Sainte-Baume, sur les traces de Marie Madeleine, elle aussi convertie.
Après les risques et les joies de ses premiers pèlerinages, Pierre Le Gouvello de Keriolet revient à son château de Kerlois en Pluvigner. Non seulement sa foi neuve le conduit à une intense vie de prière, mais aussi il renonce, en toute chose, à lui-même, pour suivre son Sauveur. Ainsi, l’orgueilleux querelleur abandonne la violence et accepte désormais sans révolte les humiliations. Les gants parfumés qu’affectionnait tant cet ancien vaniteux disparaissent et c’est de ses mains nues que Pierre soigne les plaies des malades. Car il en accueille jusqu’à deux cents chaque jour au château et il fait construire un nouveau bâtiment qui sert de dortoir à une soixantaine de nécessiteux. À vrai dire, l’intégralité de sa fortune, gérée de près d’ailleurs, sert exclusivement aux plus pauvres.
C’est encore lui qui fonde, par une riche donation, l’hôpital d’Auray !
Marcher des jours, franchir des collines, passer enfin la porte de la ville, terme du voyage, y être menacé et incarcéré… Comme le Christ acheva de cette manière son dernier pèlerinage pascal à Jérusalem, ainsi son disciple vécut-il des fatigues et des épreuves semblables durant ses innombrables pèlerinages dans l’Europe de son temps. En France du Nord et du Sud, dans sa province de Bretagne ou bien jusqu’à Compostelle ou Rome, particulièrement pour le Grand Jubilé de 1650, Keriolet a parcouru à pied plus de 100 000 km pendant quinze ans.
Ces marches ne lui ont pas seulement permis de chercher Dieu auprès des saints du ciel honorés ici-bas, mais aussi de rencontrer les grands spirituels de son temps comme le futur saint Vincent de Paul. Chemin faisant, sa générosité ne cesse jamais : pour les pauvres, les hôpitaux ou même l’évangélisation des Indiens de la Nouvelle-France.
Petit retour en arrière sur une question qui tourmenta le nouveau converti : suivre Jésus ressuscité, oui, absolument, mais sur quel chemin de vie ? Celui du cloître, pour fuir les tentations du monde ? On lui désigna, à lui l’ancien débauché resté célibataire, le chemin de la prêtrise. Mais comment exercer un pareil ministère avec un tel passé ? Seul son confesseur parvint à décider Pierre.
Alors, étudiant à marche forcée la théologie, il put recevoir à Vannes le 20 septembre 1636 la tonsure, les ordres mineurs et le sous-diaconat. Il est ordonné diacre le 7 mars 1637, puis prêtre le 28 mars de la même année, quinze mois seulement après sa conversion. Il lui faudra encore un deuxième voyage à Loudun pour arracher au démon cet ordre du ciel : il ne sera pas religieux, mais prêtre séculier au milieu du monde, partageant les peines et les misères de ses contemporains.