L’évangile de ce jour des Cendres énumère les pratiques qui nous sont familières et qui sont venues sans doute de la Première alliance : une prière plus assidue, des privations particulières en ce temps et des aumônes plus abondantes, ce qu’une préface de Carême traduit dans un langage plus proche de nous :
« Nos privations, tout en abaissant notre orgueil, nous invitent à imiter ta miséricorde et à partager avec ceux qui ont faim ». Mais ces pratiques, Jésus leur donne une coloration particulière, celle d’un retour vers le Père. Il fait même de cette « conversion » une condition de vérité de nos comportements, en nous demandant d’éviter de chercher à nous faire regarder par les hommes. Cet avertissement est particulièrement d’actualité aujourd’hui où l’on cherche tant à communiquer : une bonne partie de nos activités nous semble dépourvue d’efficacité s’il n’y a pas eu en même temps une communication appropriée. Et pourtant, Jésus nous demande de nous démarquer du monde précisément sur la publicité que nous voudrions donner à nos efforts de carême.
Retrouver la voie de l’intériorité
La conversion comporte donc un retour vers Dieu dont nous avons peut-être laissé la trace s’effacer en nous : retrouvons les voies de l’intériorité pour laisser le Seigneur se faire proche ; pour cela, passons par le détour du frère, comme le rappelle le prophète Isaïe : « Partage ton pain avec celui qui a faim, ne te détourne pas devant celui qui est ta propre chair, alors si tu appelles, le Seigneur répondra, si tu cries, il dira « me voici » (d’après Isaïe 58, 7 -8). Se tourner vers Dieu et ne pas se détourner de celui qui est notre semblable, voilà le défi qui nous est lancé au début de ce carême : la vraie intériorité ne nous coupe pas de notre prochain, elle nous permet au contraire de nous laisser interpeller par celui qui est dans le besoin ; il nous fait repérer celui qui est en souffrance dans sa vie professionnelle ou bien dans sa vie familiale, ou encore dans sa santé. En ne nous détournant pas de celui qui est notre frère, nous sommes assurés que le Seigneur ne se détournera pas de nous.
Appelés à faire des choix
Le carême est un temps où nous sommes appelés à faire des choix, même si la vie nous impose d’en faire à tout instant : il y a des choix plus importants que d’autres, il y en a même qui sont décisifs, par exemple lorsqu’il y a à s’engager dans une direction sans retour en arrière possible ; dans les options qui nous sont proposées, il y a souvent d’un côté ce qui est sûr, éprouvé, facile, et de l’autre ce qui est plus risqué et plus rude. Jésus rappelle que le chemin qui mène à la vie est celui-là, il nous montre que la route qui mène au Royaume est un sentier étroit. L’Écriture nous fait relire, au début du carême, les deux directions proposées au peuple choisi : d’un côté, la vie et le bonheur, avec le choix de suivre le Seigneur, de l’autre, la mort et la malheur, avec le choix des idoles, de l’injustice et du mensonge.
Jésus lui-même a commencé son ministère par une confrontation avec l’esprit malin, avec la possibilité d’utiliser des moyens mondains pour accomplir sa mission : c’étaient les tentations de la sécurité alimentaire, du prestige et de la richesse. À vrai dire, le chemin à suivre n’est pas toujours clair, tant ce qui est séduisant nous paraît utile et prend facilement l’apparence du nécessaire. Lorsque l’on s’engage enfin réellement dans la direction qui nous paraît la bonne, il y a eu auparavant tout un travail de discernement, comme le soulignent les grands auteurs spirituels. On apprend à revenir sur telle suggestion qui nous paraissait bonne, pour voir si elle résiste à un examen critique, on apprend aussi à reprendre des solutions que l’on avait dédaignées. Pour cela il faut se mettre constamment en face du but à atteindre et qui est clairement indiqué dans l’Évangile : avoir la vie.
Le carême nous fait redécouvrir les enjeux de nos choix, vie et mort, bonheur et malheur ; ces choix s’imposent à tous nos contemporains qui ont à choisir entre le respect de la vie et la confiance aveugle aux manipulations offertes par la technique, entre le respect de la création et l’obsession de la rentabilité au prix de la destruction de pans entiers de la nature. Ce que nous savons, c’est qu’il s’agit là de choix d’ordre spirituel et pas seulement moral, donc d’un chemin qui mène à la rencontre de Dieu, maître de la vie.
Que ce carême soit fructueux et profitable à tous, dans la perspective de parvenir à la joie de la rencontre des disciples avec le Ressuscité !
Père Jean-Yves Le Saux
Editorial Chrétiens en Morbihan n°1471