Bioéthique

Après avoir auditionné 150 experts et acteurs concernés (dont les représentants des religions), la mission d’information sur la révision de loi relative à la bioéthique a déposé un rapport de 300 pages le 15 janvier dernier : 60 propositions sur lesquelles s’engagera le débat parlementaire pour aboutir à la présentation d’un projet de loi au Conseil des ministres en juin prochain. Loin de faire consensus (au sein même de la commission ayant adopté le rapport), la réflexion voit s’affronter deux paradigmes – politiques, philosophiques et éthiques : profond, le clivage devrait marquer la suite du processus. 

Lors de son audition devant la mission d’information parlementaire le 30 octobre dernier, Mgr Pierre d’Ornellas a commencé par soulever les paradoxes sur lesquels se polarise le débat bioéthique : « le paradoxe entre le groupe des chercheurs et le respect dû aux embryons, entre le groupe des femmes voulant avoir un enfant et l’intérêt supérieur des enfants », ou encore « le paradoxe entre le groupe des parents qui ont des demandes vis-à-vis de leur futur enfant et le droit qu’a chaque être humain d’être accueilli tel qu’il est, sans sélection eugéniste, enfin le paradoxe entre la dignité inviolable et inaliénable de quiconque et le recours à la marchandisation du corps ou de ses produits pour satisfaire un groupe restreint de personnes ».

Porter un « regard écologique » pour le bien de « nous tous »

Pour résoudre ces paradoxes bioéthiques, il  a invité les parlementaires à porter « un regard écologique », en recherchant le bien du « nous tous » : « ce regard écologique, qui est entre autres celui de l’Église, devrait inspirer notre regard bioéthique ».
L’archevêque a également appelé au recul nécessaire car tout changement législatif quant à l’usage des techniques biomédicales conduit « inévitablement à forger un modèle de société ». L’enjeu global est de garantir  les principes primordiaux censés orienter toute loi. Or, « le modèle français de bioéthique, forgé depuis vingt-cinq ans, a pour principe central la dignité », a-t-il rappelé, avant de mettre en garde contre le basculement vers une société « où prédominent les libertés individuelles », une société gouvernée par la loi du plus fort…  

Lire l’intervention de Mgr d’Ornellas

Des fiches pour se former

Dans le diocèse de Vannes, le groupe de bioéthique (au sein de la pastorale de la santé) a mis au point des fiches sur un certain nombre de questions éthiques soulevées : ce que dit la loi, ce que dit l’Eglise, les enjeux, etc. 

Accueillir ou choisir son enfant : les limites et les enjeux éthiques du diagnostic prénatal (DPN) et du diagnostic pré-implantatoire (DPI) 

Le désir d’enfant : les questions soulevées par l’assistance médicale à la procréation (AMP) et la gestation pour autrui (GPA)

L’embryon : La dignité de l’être humain dès sa conception. A l’heure actuelle, l’embryon n’a pas de statut au sens juridique du terme. 

Une approche globale

Afin de poser les enjeux du processus de révision de la loi de bioéthique, les Associations Familiales Catholiques ont organisé le mois dernier une conférence-débat au Palais des Arts de Vannes. Une avocate, un philosophe et un neurologue sont intervenus  devant 350 personnes : cette distribution pluridisciplinaire a permis de mieux appréhender les problématiques posées par la révision.

 En introduisant la conférence-débat du 18 janvier dernier, Franz Toussaint, administrateur des AFC, a  dénoncé « un rapport toujours plus transgressif et déstabilisateur des repères familiaux, des fondements de la bioéthique, du rôle de la médecine et des principes de la solidarité nationale ».

Des lignes rouges à ne pas franchir

Extension de la PMA (procréation médicalement assistée) aux couples de femmes et aux femmes célibataires (proposition n°2) ; pour les enfants nés d’une AMP, instauration d’un mode unique d’établissement de la filiation basée sur une déclaration commune anticipée (proposition n°12) ; reconnaissance des enfants issus d’une GPA (gestation pour autrui) à l’étranger (proposition n°13), encouragement de la recherche sur les embryons, (propositions 15 à 19), extension des tests et diagnostics pré-nataux, (propositions 21 à 26), etc. : parfois présentées comme inéluctables, au regard des changements opérés dans d’autres pays, les évolutions proposées feraient franchir des « lignes rouges » à la société. 

Procréation : les conséquences de la levée du « verrou thérapeutique »

Pour Maître Adeline Le Gouvello (avocate au barreau de Versailles et membre de l’association des « juristes pour l’enfance »), l’élargissement de la PMA à d’autres cas que l’infertilité « pathologique » impacterait non seulement le code civil et le droit de la filiation, mais, à travers eux, la société toute entière.

En effet, si les propositions étaient adoptées, les notions de projet parental et de volonté deviendraient premières dans l’établissement de la filiation. Pour l’avocate, le législateur ferait ainsi primer le désir des adultes sur l’intérêt et le droit de l’enfant à naître. « « Avec ce système, nous arrivons à une insécurité de la filiation, qui sera basée sur l’intention. Les personnes vont déclarer chez le notaire qu’elles veulent être parents. Il n’y aura plus de fondement sur un fait biologique objectif. Un enfant issu d’un processus de PMA disait : ‘je n’ai pas manqué d’amour mais j’ai manqué de père’. Il en a souffert toute sa vie ».  

Maître Le Gouvello a relevé les incohérences du rapport, qui émet des propositions en contradiction avec des principes juridiques garantis par la convention internationale des droits de l’enfant et la cour européenne des droits de l’homme. Ainsi, l’enfant a le droit de connaître ses parents. 

Une fois le « verrou thérapeutique » levé, le risque corollaire est la GPA. La proposition n° 13 du rapport vise à « permettre la reconnaissance de la filiation à l’égard du parent d’intention pour les enfants issus d’une GPA pratiquée à l’étranger dès lors qu’elle a été légalement établie à l’étranger ». Là encore, Maître Le Gouvello dénonce l’hypocrisie d’un système qui inscrirait automatiquement à l’état civil français des « parents d’intention », tout en maintenant l’interdiction de la GPA en France. Le législateur créerait les conditions favorables au recours à des mères porteuses à l’étranger.

Plus globalement, « on ne répond pas à la souffrance de certains en créant de la souffrance pour d’autres, pose Maître Le Gouvello. « Les droits reconnus aux enfants fixent des limites objectives aux désirs, qui, eux, sont sans limites. Le droit est là pour protéger ceux qui ne sont pas en mesure de le faire » rappelle-t-elle.

Face à l’objection récurrente où l’on cherche à comparer la situation d’un enfant élevé par deux « papas » ou deux « mamans » à celle d’un enfant malheureux, le philosophe Pascal Jacob (agrégé en philosophie, enseignant à l’IRCOM) recommande de repositionner le débat : « Il faut comparer à égalité des choses comparables ! La question est : puis-je intentionnellement, en toute justice, priver un enfant de la relation paternelle ou de la relation maternelle ? ».

La question du corps et l’impact sur les rapports sociaux

Dans l’hypothèse de l’adoption de la PMA « pour toutes », Adeline Le Gouvello pointe un énième faux-semblant. Tenir le principe de gratuité des dons de gamètes serait « illusoire » ; le manque de gamètes entraînera le recours à la rémunération des dons, autrement dit la vente des gamètes et donc la marchandisation du corps humain. « Evidemment, on ne peut pas dire publiquement qu’on va devoir rémunérer pour répondre à la demande d’ovocytes et de sperme, car ça se heurte au principe de protection du corps humain ».

Rebondissant sur les implications anthropologiques, Pascal Jacob décrit un processus de « désincarnation » qui met à mal une certaine conception de la personne et de la société : « Il y a, derrière, l’idée que notre corps, nos cellules sont du matériel dont on peut se dessaisir. Notre corps ne serait pas vraiment nous ». Ce glissement bioéthique n’est pas sans répercussions sur les rapports sociaux. Se référant à Louis Dumont, le philosophe poursuit son raisonnement : « Nos rapports sociaux sont des rapports de personne à personne. Nos rapports économiques sont quant à eux des rapports de personne à chose. Et finalement, nos rapports sociaux tendent à devenir des rapports économiques. C’est-à-dire que l’enfant va être la chose que je vais produire pour moi ».
A partir du moment  où la personne est utilisée comme un moyen et non plus considérée comme une fin, les plus fragiles ne peuvent être accueillis dans leur dignité : « Celui qui est vulnérable, économiquement moins performant et moins rentable, évidemment, je vais l’exclure, le mettre de côté comme je mets de côté un vieux téléphone qui ne capte plus. Nous sommes un peu dans ce registre-là. L’homo economicus envahit toutes les sphères. ».

Le philosophe cible trois concepts-clés pour penser et analyser le basculement de la société :
Individualisation : l’homme est pensé comme un individu pur, qui pourrait s’engager envers l’autre par de simples contrats et aucun lien naturels.
– Fonctionnarisation : les personnes agissent comme des « fonctionnaires de l’Etat », y compris dans l’exercice de la parentalité.
– Déconstruction : des éléments, qui jusque-là n’avaient de sens que les uns par rapport aux autres, sont « démontés » de sorte que l’individu leur donne le sens qu’il veut leur donner.  

Sur les conséquences de la déconstruction : « Si on déconnecte la sexualité de la capacité à procréer, on lui ôte son sens. Procréer devient le fait d’engendrer dans un laboratoire à partir de deux gamètes. Or, le fait que nous soyons issus d’une relation procréatrice, met véritablement la relation au principe de notre être. Nous sommes des êtres de relation parce que nous sommes issus d’une relation » .
Parce qu’elle externalise la procréation, la PMA induit une dangereuse conception de l’homme.  « L’enfant entre dans un système de production, d’industrie, etc. qui s’oppose à ce qu’est l’homme : l’homme n’est pas le produit d’un projet rationnel, un produit dont on fait les plans à l’avance…  Mais l’homme est un être de relations ».

La boîte de Pandore

Si le chapitre « procréation » occupe une large part des débats, le sujet de la recherche génomique et des cellules souches est tout aussi fondamental.

Malgré les résultats prometteurs de la recherche sur les cellules souches adultes, les cellules reprogrammées (iPS), les cellules souches non-embryonnaires, certains chercheurs réclament de travailler sans restrictions sur des embryons.

Tantôt matériau de laboratoire, tantôt personne en devenir et à ce titre protégée, le sujet du statut juridique de l’embryon regorge de paradoxes. Là encore, c’est l’existence ou non d’un projet parental qui détermine la « valeur » de l’embryon et non sa dignité intrinsèque et objective. « Les juges sont très embarrassé quand il s’agit de définir le statut l’embryon, constate Me Le Gouvello. Car on voit bien que ce n’est pas une chose, un matériau, et en même temps, lui reconnaître le statut d’être humain rendrait très embarrassantes sa congélation et sa destruction à des fins de recherche ».

Autre sujet d’inquiétudes : les dépistages prénataux non invasifs (DPNI) et les DPI (diagnostics pré-implantatoires). Si le rapporteur de la mission parlementaire, Jean-Louis Touraine, juge « infondées » les craintes d’eugénisme, la fondation Jérôme Lejeune signale la dérive eugéniste et transhumaniste que l’extension des DPI aux aneuploïdies (dont la trisomie 21) pourrait entraîner. 

Le Dr Grégoire Hinzelin (neurologue à Nantes, membre fondateur de «Debunk In Progress », groupe de recherche sur l’anthropologie dans l’intelligence artificielle) met également en garde contre les modifications génétiques rendues possibles par les innovations du type des ciseaux CRISPR-Cas9 : on ouvre « la boîte de Pandore » !

Tout un pan du rapport concerne enfin l’entrée du numérique dans la médecine et l’intelligence artificielle.
Pascal Jacob donne là encore des clés de compréhension. Cette fascination pour la technique découle de la fascination de l’homme pour sa puissance. Le philosophe puise dans la mythologie une transposition éclairante : « L’homme se désire lui-même, il se veut pure volonté. Et ce Narcisse a la technique pour lui donner ce qu’il veut. Narcisse et Prométhée – la technique mais sans la sagesse – se sont alliés ». 

A l’issue de la conférence, les auditeurs ont été invités à se mobiliser, en saisissant, entre autres, l’occasion d’exprimer leur conception de la famille et de la bioéthique à travers les cahiers de doléances ouverts dans certaines mairies.